POLARS D’UKRAINE

KIEV par Benoît Vitkine: Les loups (Editions Les arènes et Livre de poche)

« La ville défile lentement, éblouissante sous le soleil de juin. Le vert des arbres paraît à peine moins scintillant que celui des dômes dorés des monastères qui parsèment le centre. La Kiev antique n’a pas perdu de sa superbe. La ville aux quatre cents églises, cent fois pillée et cent fois reconstruite, n’a cessé de s’enrichir, aimée et choyée par ses souverains successifs. Les tsars lui ont offert des immeubles aux allures de palais. Murs pastel, verts, roses, jaunes, aux couleurs d’un monde disparu… Les soviets ont eu le bon goût de l’épargner, y déployant aves parcimonie leurs grandioses constructions. Ils ont si bien compris l’esprit de cette ville méridionale qu’ils l’ont placée sous la protection d’une nouvelle sainte : l’immense statue métallique de la Mère-Patrie, érigée pour rendre hommage aux millions de tués de la Guerre. Seul le capitalisme carnassier de l’après-1991 a failli la mettre à bas. Les usines sur le Dniepr ont été transformées en friche, la peinture s’est écaillée, des échoppes sauvages ont fait leur apparition à chaque coin de rue. Gigantesque marché aux puces de la misère… Les barons de la nouvelle Ukraine ont érigé leurs propres temples, immeubles aux façades de verre poli qui projettent leur lumière sur les rues pavées dont on a enfin rebouché les trous. »

  1. Olena Hapko, une richissime femme d’affaires, est élue présidente de la République. Son investiture doit avoir lieu trente jours plus tard. Le soir de sa victoire, elle invite dans une grande salle de restauration « les loups », ces oligarques, ces chefs d’entreprise les plus puissants du pays. Elle tente de les rassurer. Pendant la campagne électorale, elle a promis aux Ukrainiens qu’elle allait réformer l’Etat, l’économie du pays et gouverner autrement. Pour ces hommes d’affaires, cela pourrait signifier que la Présidente va s’approprier leurs entreprises en les nationalisant pour les contrôler.

Son passé a de quoi les inquiéter. Femme d’affaires sans scrupules, elle a fait fortune en rachetant à bas prix des entreprises au bord de la faillite. Pour cela, elle a passé des accords avec un oligarque et a même reçu une participation de financiers russes missionnés par le Kremlin. Pour rester intouchable, elle a créé une société-écran basée à Chypre en prenant pour prête-nom son ancienne institutrice de son village natal de Goulaï-Pole. (suite…)

AVDIÏVKA par Benoît Vitkine: Donbass (Editions les Arènes et Livre de poche)

« Le vieil Avdiïvka avait de faux airs de village, avec ses maisons à un étage en mauvaise brique paresseusement étalées le long des routes qui rappelaient des chemins : l’asphalte avait disparu, ou bien, plus séduisant encore, personne n’avait même pensé à en répandre. Chaque maison disposait d’un petite jardin, et même si l’ensemble avait un aspect misérable, jonché de détritus de plastique et de métal, c’est ce qui avait séduit Henrik. (…) Avdiïvka était une ville modeste, avec sa population de trente-cinq mille habitants, réduite à vingt mille au fils des années de guerre. La commune n’avait jamais eu une place centrale dans le Donbass, coincée entre Gorlovka et Donetsk, la métropole régionale où Henrik avait commencé sa carrière. Comparée aux autres localités de la région, elle n’était pas trop sinistrée : ses immeubles lépreux paraissaient certes avoir survécu à une guerre chimique, mais ils ne s’écroulaient pas encore. (…) Attribuer à la zone de friches industrielles qui s’étendait en contrebas de la gare le nom de « quartier » était flatteur. De rares immeubles décatis étaient plantés autour des terrains vagues et d’usines depuis longtemps désaffectées. La gare elle-même était à l’arrêt, semblable à une carcasse de dinosaure, inutile et abandonnée. »

Avdiïvka est une ville sur la ligne de front de la guerre du Donbass. D’abord ukrainienne, elle a été occupée par les séparatistes pro_russes puis reprise par l’armée ukrainienne. Les bombardements d’artillerie et les échanges de tirs y sont quotidiens ou presque. Les maisons ravagées par des obus et les morts sont son lot quotidien.

Le petit Sacha Zourabov, six ans, observe de sa fenêtre, une nuit, des hommes qui déchargent de camions des sacs de charbon qu’ils entassent dans des wagonnets qu’ils poussent jusqu’à l’usine voisine. Puis les camions sont chargés de caisses empilées dans un terrain vague. Quand les véhicules sont repartis et que la canonnade a repris, Sacha aperçoit un sac de charbon abandonné par terre. Il se promet de le récupérer.

Le lendemain, son cadavre à demi-dénudé est retrouvé dans une zone de friche industrielle, cloué au sol par un poignard. Le garçonnet vivait chez sa grand-mère à laquelle il avait été confié par sa mère qui habite dans une ville encore plus exposée aux combats et aux privations. (suite…)

LA CRIMEE par Aleksandra Marinina : La liste noire (Editions du Seuil et Points policier)

MARININA LISTE NOIREPéninsule de 413.000 kilomètres carrés, au sud de l’Ukraine et à l’Ouest de la Russie, la Crimée, qui s’avance dans la mer Noire entre Europe, Caucase et Anatolie, a connu une histoire agitée depuis le début du XXème siècle. Après la Révolution d’Octobre, elle est devenue une République Socialiste Soviétique (RSS) autonome en 1922 puis intégrée à la RSS de Russie avant d’être rattachée à la RSS d’Ukraine en 1954 ; Avec la chute du communisme et la dislocation de l’Union soviétique, elle devient, en 1991, une république autonome au sein de l’Ukraine. En 2014, à la suite d’un mouvement sécessionniste relayé par la Russie, elle est réintégrée à celle-ci. Ses rives ont depuis longtemps attirés de nombreux vacanciers dans la vingtaine de stations balnéaires qui y sont établies.

« La liste noire » se déroule dans l’une de ces villes du bord de la mer Noire alors que s’y tient un festival de cinéma. S’agit-il de Yalta, de Théodose, d’Eupatoria, d’Aloutcha, de Skadovsk, de Soudak ou d’un site de plus petite taille ? Marinina n’en donne jamais le nom. Ses descriptions permettent-elles aux connaisseurs de l’identifier ?

Le lieutenant-colonel Vladimir Stassov de la police de Moscou y passe ses vacances avec sa fille Lilia qui lit roman sur roman dans la chambre qu’il loue chez des particuliers. Pendant ce temps, Rita Mezentseva, l’épouse dont il a divorcé et qui est une ravissante actrice, assiste au festival de cinéma aux côtés de l’un de ses amants. Olga Dorienko, une comédienne vedette qui était favorite pour le prix d’interprétation féminine, est assassinée dans une chambre d’hôtel. Le président du jury est suspecté d’être l’auteur du meurtre. (suite…)

JYTOMYR par Andrij Kokotukha : Zone d’anomalie (Editions Lafon)

Zone_d_Anomalie_La ville de Jytomyr (270.000 habitants), à 140 kilomètres à l’Ouest de Kiev, ne passe pour une destination touristique, et pour cause, puisqu’elle est située à quelques dizaines de kilomètres de la zone de sécurité établie autour de Tchernobyl et sa sinistre centrale nucléaire.

Victor Chamray travaille au journal Faits incroyables qui est principalement consacré à des faits divers curieux, bizarres, à la limite du paranormal, aux apparitions d’extraterrestres, de Dieu et du Diable, aux miracles et à d’autres phénomènes inexplicables. Alors, lorsqu’une jeune femme, Tamara Tomilina, vient lui parler de Pidlisne, un village distant de Jytomyr d’une centaine de kilomètres dont les habitants ont été déplacés après l’explosion de Tchernobyl et qui, depuis qu’il a été abandonné, attire des gens qui disparaissent sans laisser de traces, il s’intéresse immédiatement à ce lieu maudit qui se trouve dans la zone d’anomalie. (suite…)