A LA DECOUVERTE DE MARSEILLE (FRANCE) EN 1898 avec Jean Contrucci: La faute de l’abbé Richaud (Editions JC Lattes et Livre de poche)

«  L’attelage descendit le boulevard de Mazargues, voie triomphale qui reliait depuis peu le rond-point du Prado à celui de Mazargues, où passerait bientôt le tramway électrique promis par la municipalité Flaissières et constituant, avec le chemin de Cassis auquel il s’abouchait, la nouvelle sortie sud de Marseille par le col de la Gineste. (…) La place Castellane, avec son obélisque, fut bientôt atteinte. La place, fait encore rare dans une ville éclairée au gaz de coke, était illuminée par l’électricité « à titre expérimental »… depuis six ans. Le fiacre tourna autour du monument qui ponctuait le centre de la place circulaire et s’engagea dans la rue de Rome, déserte à cette heure du soir, ce qui l’amena bientôt sur la Canebière par le cours Saint-Louis. (…) Raoul Signoret avait pourtant quitté Marseille de bonne heure. (…) Il lui en avait coûté 0,40 franc pour voyager plus d’une heure et demie à bord de l’omnibus hippomobile n°19 de la Compagnie nouvelle des omnibus, qui l’avait conduit à Mazargues par l’avenue du Prado, le Grand Saint-Giniez et le Chemin de Mazargues, au départ du cours Saint-Louis. (…) Les deux carnes qui halaient la remorque sur rails étaient à bout de souffle et, au passage de la montée qui traverse le village de Saint-Anne, peu avant Mazargues, il avait fallu le renfort d’un troisième cheval. »

Sur les hauteurs de Marseille, dans le village de Mazargues, deux abbés s’affrontent sous les yeux goguenards des laïcs : le vieux curé Joseph Barral, un homme simple, bon vivant, tolérant et son vicaire, plus jeune, ambitieux, intégriste. Le premier a le soutien des pêcheurs, ouvriers et gens modestes tandis que l’autre bénéficie des faveurs des bigotes, de la haute bourgeoisie et de certains grands patrons. Le conflit s’exacerbe quand la chapelle des Carmes, ancienne église du village, est le théâtre d’un curieux événement. Les plaies du Christ saignent dans un tableau de la descente de croix. Pour l’abbé Richaud, il s’agit d’un miracle qui appelle les paroissiens à plus de piété. L’abbé Barral constate lui aussi le phénomène mais demeure suspicieux.

Raoul Signoret, journaliste au Petit Provençal, prévenu par son oncle, le commissaire principal Eugène Baruteau, arrive sur place, interroge des habitants dont un sympathique Lou Roucaou, et Gaston Gaudissart, le pharmacien laïcard qui ne l’est pas moins. Tous trois se rendent à une procession organisée par l’abbé Richaud qui conduit fidèles et curieux dans la chapelle, devant le tableau qui saigne à nouveau puis s’effondre par terre faisant fuir l’assistance.

Raoul et le pharmacien récoltent des preuves qui révèlent la supercherie. Le sang était celui de sangsues accrochées au dos du tableau.

L’abbé Barral disparaît. Les battues organisées pour le rechercher ne donnent rien. Un soir, Raoul prend en filature un individu qui le conduit dans un tripot. Il reconnaît en lui l’abbé Richaud qui a perdu des sommes considérables au jeu que le propriétaire des lieux lui demande de rembourser sans tarder.

Le cadavre de l’abbé Barral est extrait d’un puis du presbytère. Il a été violemment frappé à la tête puis immergé dans la cavité et dissimulé sous des bûches. L’abbé Richaud est, à son tour, introuvable. Un autre scandale suscite des ragots : la femme du colonel Humbert d’Atay a accouché d’un enfant alors que son mari ne pouvait plus procréer à la suite d’une blessure de guerre. Le couple recevait régulièrement la visite de l’abbé Richaud. Raoul Signoret, aidé de sa femme Cécile, mène son enquête ce qui agace son oncle officiellement chargé de l’affaire.

Jean Contrucci réalise une nouvelle plongée très documentée dans la Marseille de la fin du XIXème siècle. A cette époque, les villages environnants n’étaient pas encore des arrondissements de la ville. Les tramways étaient tirés par des chevaux. Les téléphones étaient rares. Les Marseillais étaient bilingues (franco-provençaux), truffant leurs propos en français d’expressions venues du provençal, du patois local ou de l’italien : estranssinée (bouleversée), esquine (échine, dos), pastisson (gifle), bazarette (bavarde).

Humour et nostalgie parsèment un récit qui égaie et suscite la curiosité du lecteur tout au long d’une intrigue qui, au terme de rebondissements dramatiques mais pas trop, réunit le neveu, l’oncle et leur entourage autour d’une bouillabaisse qui est restée éternelle… Un bon moment dans la métropole provençale du XIXème siècle.