LES FAVELAS DE RIO par Patricia Melo: Enfer (Editions Actes Sud)

« L’entrée de la favela était toujours pleine de tumulte et de bruit quand on arrivait par l’avenue Epitacio Pessoa. Les voitures devaient ralentir pour ne pas écraser la foule des passants qui coudoyaient sur les étroits trottoirs en pierre et sur l’unique rue goudronnée de la butte. (…) Des volées de marches et des impasses, des descentes et des montées, des marches, partout des pleurs d’enfants, ça monte, ça descend, des creux, des bicoques, des rues en escalier, du linge sur les cordes, tourner à droite, à gauche, descendre pour remonter, ça monte, des marches, ça descend, des toits, des fenêtres, Petit Roi empruntait chaque jour un trajet différent, orientant ses pas jusqu’au point culminant de la favela, d’où il surveillait les allées et venues au service des trafiquants, pour explorer toujours un peu plus ce labyrinthe. (…) Il voyait la butte tout entière, immense masse anthracite, toujours en expansion, inachevée, découpée sous toutes les formes possibles par de petits chemins, des ruelles, un labyrinthe de couloirs et des passages, avec peu d’entrées et de sorties. (…) Ils s’assirent sur le belvédère et regardèrent la ville, le Christ tout illuminé. »

José Luis Reis, alias Ze Luis, alias Petit Roi, est un garçon de onze ans. Il habite dans la favela de Berimbau avec sa mère, Alzira, qui travaille comme femme de ménage chez un couple aisé, et sa sœur aînée, Carolaine, qui est sensée faire des études d’informatique. Leur père Francisco a quitté leur domicile depuis longtemps. Petit Roi ne l’a jamais connu et vit dans l’espoir de rencontrer ce père qu’il idéalise. Le gamin ne va plus à l’école depuis plusieurs mois et se fait embaucher comme guetteur par Big Milton, le chef du gang qui contrôle la favela et le trafic de drogue dans ce périmètre.

Lorsque la police pénètre dans la favela à l’insu des guetteurs, la punition de Big Milton est brutale. Il tire une balle de revolver dans la main de Petit Roi et le chasse de sa bande. Le gamin plonge dans la drogue, consomme du crack en quantités de plus en plus conséquentes et commet de petits larcins pour payer ses doses. Sa descente aux enfers se termine quand Suzana, sa belle voisine qui a de l’affection pour lui, intervient auprès de son amant Big Milton pour qu’il le reprenne dan son équipe. Le truand accepte à condition que Petit Roi cesse de se droguer ce qu’il s’engage à faire avec enthousiasme.

Commence alors pour lui, au fil des ans, une ascension dans ce milieu criminel. Il doit pour cela fait ses preuves. A l’issue d’un dîner arrosé dans un restaurant, Big Milton lui donne un revolver et lui demande d’abattre  l’un des convives qu’il considère comme un traître. Petit Roi exécute son premier meurtre sans broncher.

Irritée par son insistance à rencontrer son père, Alzira le conduit en centre-ville où celui-ci vit dans la rue, clochard et ivrogne. Petit Roi ne renonce pas pour autant à renouer les liens avec ce père déchu.

Son ami DJ, Fake, l’emmène dans une discothèque où il fait la connaissance de Marta, une jeune fille pour laquelle il éprouve un coup de foudre immédiat. Mais elle disparaît dans la nuit sans qu’il sache comment la retrouver.

Dans la favela, Suzana quitte Big Milton pour son nouvel amant, Zequinha Moustache, qui est le chef d’un gang rival qui règne sur la favela de la butte voisine. Un affrontement sanglant éclate entre les deux bandes. Il est l’occasion pour Petit Roi et Marta de se retrouver mais ils sont tous les deux pris dans un engrenage infernal.

L’univers favelas est un monde à part. La police souvent corrompue n’y fait que de rares incursions quand le gouvernement veut faire preuve d’autorité et répondre aux critiques des medias. Le reste du temps, les chefs de gangs règnent sans partage sur ces communautés. Ils  contrôlent le trafic de drogue, rackettent des commerces mais rendent aussi la justice, aident les plus pauvres et organisent des fêtes. Armés jusqu’aux dents,  ils répriment violemment ceux qui ne se soumettent pas à leurs injonctions. Même l’Eglise n’échappe à leur influence et bénéficie de leurs largesses financières, sauf quand elle s’oppose à leurs méthodes d’action.

Patricia Melo utilise un style vif, fait de phrases courtes, parfois sans verbe, limitées à quelques mots, à des interjections. Marta mâche des chewing-gums et en fait des bulles qui  se traduisent par des « ploc » au milieu des phrases. Elle éprouve une sympathie manifeste pour ces habitants des favelas qui tentent de survivre entre misère, pauvreté et violence. Une plongée impressionnante dans ces quartiers les plus déshérités de Rio de Janeiro, pourtant si proches des plages de rêve de Copacabana.