CARACAS par Juan Carlos Guedez: La vague arrêtée (Editions Métailié)

« Cela lui fit plaisir de se promener ainsi, comme au bon vieux temps, quand ils traversaient le quartier Central depuis Las Tres Gracias jusqu’à la place Venezuela. (…) Magdalena refit dans sa tête le parcours qu’elle venait d’effectuer. Avenue Maria Teresa Toro ; avenue Roosevelt ; rue Bermudez ; avenue El Pasco ; avenue Los Laureles ; avenue El Parque. (…) L’avenue Libertador se déploya sous ses yeux, une succession rapide d’immeubles, d’arbres, de chantiers, de feux rouges, de murs en ciment avec les yeux du Commandant éternel. (…) Elle vit que, si elle tournait à droite, elle arrivait à la place des Trois Grâces et que, dans le sens opposé, elle prenait l’avenue de la Faculté menant à Bello Monte. (…) Et, à moto, ils avaient pris l’avenue Baralt et étaient arrivés à côté de Las Torres del Silencio. (…) La voiture a continué jusqu’à Los Proceros pour ensuite monter par Santa Monica, mais elle, elle est descendue avant, sur la place de Los Tres Simbolos, et elle est partie en courant par l’avenue Roosevelt. »

Depuis on arrivée du Venezuela à Madrid vingt ans plus tôt, Magdalena Yaracuy est devenue une détective à succès. Elle a une particularité : bénie par Maria Lionza, la déesse de la montagne et des rivières, elle a des dons de sorcellerie et de divination qui lui sont utiles dans les enquêtes qu’elle mène.

Son amant, José Maria, avec lequel elle a vécu des nuits et des journées d’amour torrides, est devenu tellement envahissant qu’elle a décidé de rompre et s’est résolue à fuir en France pour échapper à ses avances. Alors qu’elle est à Aix-en-Provence, elle est abordée par Gonzalo, un homme chargé de la convaincre de rentrer à Madrid pour rencontrer son patron, un ancien politicien fortuné, qui lui demande d’aller à Caracas pour y rechercher Begona, l’une de ses filles, dont il n’a plus de nouvelles.

Elle accepte de regagner la ville où elle a suivi des études universitaires. Pour l’aider dans sa mission, Gonzalo lui donne une liste de personnes qui ont été en contact avec Begona.

Caracas est entretemps devenue une ville extrêmement violente, peut-être la plus violente du monde. Une police corrompue, des groupes paramilitaires surnommés « les collectifs » utilisés par le gouvernement pour briser les manifestations d’opposants, des services secrets s’affrontent et terrorisent la population dans une ville où les fusillades et meurtres en pleine rue sont une réalité quotidienne.

Magdalena découvre que Begona a été embrigadée par l’un de ces collectifs. Un ancien ministre a été tué à son domicile en même temps que sa secrétaire par l’un de ces groupes paramilitaires. Et Begona était présente sur les lieux mais est parvenue à s’enfuir. Depuis, tout le monde la recherche.

Magdalena a recours à plusieurs informateurs qui la manipulent, l’envoient sur de fausses pistes ou la trahissent. Elle devient une cible. Des services secrets et des collectifs la suivent à la trace en espérant qu’elle les conduira à Begona que les uns veulent abattre et l es autres enlever. Magdalena ne peut se fier à personne mais peut compter sur la protection de Maria Lionza.

Détective et sorcière, Magdalena est un personnage fantasque. Séduisante, elle porte des vêtements qui mettent sa silhouette en valeur et observe avec appétit les jeunes hommes qui croisent sa route. Mais elle n’a que peu de temps à leur consacrer dans cette Caracas où la mort rôde en permanence et où elle ne peut faire confiance à personne. Positive, opiniâtre, sensuelle, elle emporte la sympathie du lecteur. L’autre héros du roman est plus inquiétant, plus effrayant : Caracas vit au rythme des meurtres, des exactions, des règlements de comptes, d’une violence alimentée par un pouvoir qui l’exerce contre ses opposants, directement ou par l’intermédiaire de groupes paramilitaires qui sont autant de bandes rivales qui contrôlent les quartiers de la capitale, rackettent des habitants innocents qui sont, en outre, accablés par un approvisionnement aléatoire en produits de première nécessité, alimentaires et autres.

Magdalena ne reconnaît pas la ville de sa jeunesse et veut regagner Madrid au plus vite en escortant Begona. Y parviendra-t-elle ? C’est le suspense entretenu de bout en bout par Mendez Guedez qui décrit, du point de vue de son héroïne haute en couleurs, cette Caracas qu’il a lui-même quitté. Terrible destinée de ces Vénézuéliens qui doivent s’exiler pour rester en vie loin de cette violence sauvage qui mine leur pays. Terrifiant.