SANTIAGO DU CHILI par Ramon Diaz-Eterovic : Les yeux du cœur (Editions Métailié)

ETEROVIC YEUX COEURHeredia, le détective privé désabusé qui discute avec Simenon, son chat blanc et l’écoute avec agacement dispenser des conseils qu’il ignore, déambule dans les rues et les places de Santiago et traîne sa mélancolie de bar en bar où il soliloque seul ou se confie à d’autres solitaires comme ce « Scribouillard », Franklin Seron, le vieux policier mis à la retraite, ou Marconi, le patron argentin d’un troquet où il fait parfois escale. Son chemin le conduit au long des grandes artères de la ville, dans le Parque Florestal, sur le pont qui enjambe le Mapocho, la plaza Italia ou la plaza San Bernardo où l’un de ses amis dort dans une voiture.

Heredia est sollicité par un journaliste et un homme politique pour retrouver Traverso, un responsable du parti de ce dernier qui a disparu depuis plusieurs jours. Pas très convaincu mais, comme toujours, à court d’argent, il accepte la mission. Il a lui-même connu Traverso à l’université dans les mois qui ont précédé le coup d’Etat de Pinochet. En fouillant l’appartement du disparu, il découvre la photo du groupe d’étudiants dont ils faisaient partie. Les visages de ceux qui sont morts sont entourés d’un cercle rouge.

Il part à la rencontre de ceux qui formaient ce groupe. L’un d’eux a été enlevé par la police secrète et n’est pas sorti vivant des sinistres geôles de la dictature. Les autres ont connu des fortunes diverses. Il discute aussi avec la maîtresse de Traverso, se fait agresser par deux fois par des inconnus dans la rue, se réfugie dans les bras d’une prostituée dans un hôtel. Ses recherches pataugent. De plus en plus amer, déprimé par ses rencontres qui lui font revivre un passé peu glorieux, il erre de bistrot en bistrot, a une brève relation avec sa jeune voisine Manuela qu’il finit par repousser. L’un de ses anciens camarades d’études devenu avocat est assassiné dans son cabinet peu après avoir discuté avec le détective. Il avait été soupçonné d’avoir été une taupe de la police à l’université. La CIA se manifeste et veut elle aussi mettre la main sur Traverso. A force de remuer les souvenirs et de fouiller dans la vie du disparu, Heredia retrouvera sa trace.

Heredia est un solitaire qui a perdu toutes ses illusions et ambitions, qui se contente de vivre au jour le jour, de gueule de bois en gueule de bois mais il est profondément attaché à cette ville de Santiago dont il connaît les moindres recoins et surtout tous les bistrots, où il bénéficie de la sympathie des petites gens, vendeurs de journaux, prostituées, clients et patrons de bars, qu’il respecte, attentionné et compatissant. Son destin est surtout celui de quelqu’un qui ne s’est pas remis des années de dictature de Pinochet avec ce qu’elles ont comporté de violences, de trahisons, de mensonges, de déceptions, d’amitiés, d’amours brisés. C’est l’univers de ces hommes et de ces femmes qui ont perdu leur enthousiasme et leurs espoirs dans cette période sinistre que dépeint Diaz-Eterovic. Pour autant, l’humour, l’ironie et la tendresse affleurent à toutes les pages du roman et contribuent à l’humanité de ses personnages voire à leur animalité pour ce qui est du très philosophe Simenon qui dort sur les œuvres complètes du créateur de Maigret.