A LA DECOUVERTE DE LA LINEA (ESPAGNE) avec François Filleul: Poissons volants (Ker éditions)

« Il y a cette région, le détroit, le rocher, l’histoire sans fin de leurs trafics en tout genre. La Linea, cette défense contre Gibraltar, cordon de pierre pour claque murer les Anglais dans la roche, cette frontière faite ville, ce rempart poreux et dérisoire. Il y a la baie d’Algeciras, sacrifiée aux industries lourdes, en 1966, date à laquelle le généralissime avait décidé d’y flanquer tout ce qui pue et qui pollue. (…) Dans toute ville de province, point de salut hors du centre. Son pouvoir d’attraction est tel que pour la moindre sortie, le réflexe est de s’y rendre sans réfléchir. Que ledit centre se résume à trois ou quatre rues et soit dépourvu de véritable attrait comme à La Linea, ne change rien aux habitudes. (…) Elle dédaigna sur sa gauche le casino, d’une autre époque et dont elle n’était de toute façon pas membre et, à droite, le café Modelo, pourtant très joli parent pauvre des grands établissements de la fin du XIXe siècle. (…) Il remonta l’avenue Menendez Pelayo en direction du centre, calle Jardines, à droite calle des Clavel, puis à gauche calle des Alba. (…)La zone était pittoresque avec ses maisons délabrées couvertes d’azulejos bleus, bruns, jaunes ou blancs, d’autres où survivaient parfois des ornements néoclassiques. (…) La débâcle était générale. (…) Les devantures vides et déglinguées de marchands de meubles, électroménager, décoration, d’une librairie-papeterie, une distillerie et même un brûleur de café témoignaient d’un passé moins sinistre. »

Un réveillon de fin d’année. Minuit approche. Un groupe d’amis, adultes et enfants, font la fête. On sonne à la porte. Une des convives, Alicia Jimenez, fonctionnaire européenne, va ouvrir. Elle est abattue d’un calibre 9mm. C’est le début d’un carnage. Quatre adultes, deux enfants et un bébé sont tués. L’un des hommes a été attaché à une chaise et torturé avant son exécution. Il y a deux survivants : un Belge et l’une de ses filles de trois ans. Ils étaient dans la salle de bain au moment du massacre et s’y sont cachés. La scène macabre est découverte par Yolanda de la Torre, l’épouse de l’une des victimes, qui rentrait du restaurant où elle travaille comme sommelière. Les deux survivants n’ont rien vu. Leur témoignage n’apporte rien.

L’enquête est confiée à l’inspecteur-chef Fulgor Duran et son équipe du commissariat de La Linea. Les meurtres font penser à un règlement de comptes. A première vue, les morts étaient des gens sans histoires. Alicia Jimenez vivait dans la banlieue de Bruxelles avec son compagnon belge et ses deux filles. L’homme torturé est David Hernandez. Il était agent du service andalou de l’emploi. Le propriétaire, Ricardo Arivalos, devait être en train de jouer à une console avec lui lors de l’intrusion du ou des assassins. Un ingénieur et sa femme qui vivaient habituellement aux Canaries étaient les deux autres victimes. Ces trois couples se retrouvaient là pour célébrer les fêtes de fin d’année et en été.

Tous étaient en apparence irréprochables mais avaient en commun de vivre au-dessus de leurs moyens. La valeur de leurs propriétés, de leurs véhicules dépassait largement leurs revenus. Les enquêteurs recueillent des mégots de shit sur le lieu du crime et, dans le garage voisin, une valise qui avait contenu une importante quantité de drogue. Le survivant belge révèle que l’un de ses amis l’avait trouvée près d’une station-service. L’explication paraît tellement invraisemblable que les policiers la croient vraie. Mais, même si les morts n’étaient pas des dealers, des trafiquants ont-ils cherché à se venger ? Les enquêteurs sont appelés pour un autre meurtre. Ernesto Negredo, un ancien pêcheur, devenu l’un des responsables locaux du parti Podemos, a été tué avec son chien sur une plage. Deux jeunes qui circulaient en quad sont rapidement mis en cause. Mais ont-ils agi pour le compte d’un commanditaire ? Y a-t-il un lien entre les deux affaires ?

L a Linea, la ville espagnole qui fait face à Gibraltar, est présentée par François Filleul comme un lieu de trafic mais aussi comme un point de passage de migrants qui en sont refoulés vers leur pays d’origine. Différents phénomènes l’accablent : une chaleur estivale en janvier, des bancs de poissons qui passent habituellement beaucoup plus tard dans l’année, des baleines qui s’échouent sur la plage, des rats dont la présence a conduit à la fermeture de l’hôpital public. Pour compléter le tableau, les policiers soupçonnent de corruption et de prévarication le maire de la ville. L’inspecteur Fulgor Duran s’interroge sur le sens de son métier, subit la pression de sa hiérarchie et lutte contre peut-être trop fort pour lui dans une intrigue habilement construite.

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